DARK : SÉRIE 3

ÉTUDE DE CAS

Dans ces temps particulièrement difficiles, la dernière saison de Dark est LA série à voir. Si vous n’avez pas encore visionné les deux premières saisons, c’est le moment de rattraper le temps perdu; mais attention, ON NE DÉVOILE AUCUN SECRET ‒ ne lisez pas plus loin avant d’avoir terminé leur visionnement!

Notre équipe de Montréal a réalisé environ 120 plans pour l’émission, sous l’œil avisé du superviseur en effets visuels de Cinesite, Sean Stranks.

On a rencontré Sean pour lui poser des questions et avoir un aperçu des effets visuels que Cinesite a créés pour la série, allant de la création d’environnements à la destruction et aux effets visuels des huit épisodes.

À quel stade de la production avez-vous été impliqué dans cette émission?
Je revenais tout juste d’Afrique du Sud, où je travaillais sur une autre production. Je suis un adepte inconditionnel de la série Dark, alors quand on a parlé de travailler sur ce projet, j’ai sauté sur l’occasion; c’était une décision instantanée, ça allait de soi. J’ai commencé à superviser les 117 plans de Cinesite en janvier, sans aller au studio.
Le superviseur en effets visuels était Bastian Hopfgarten, avec qui j’avais déjà travaillé sur le film de Spielberg, Le Pont des espions, en 2015. On a travaillé en étroite collaboration en se parlant tous les jours et on a organisé des réunions toutes les semaines avec le réalisateur Baran bo Odar pour revoir les finales.

L’émission a été diffusée pendant la pandémie. La création des effets visuels en a-t-elle souffert?
Peu de temps après le début du travail, la pandémie a frappé. Le producteur exécutif de Cinesite, Thomas Tannenberger, et moi avions suivi l’évolution de la situation et avons eu des discussions préliminaires sur la façon dont on pourrait adapter nos projets de clients et notre approche au travail à distance, au besoin.
Après quelques tests initiaux, toute l’équipe s’est convertie au télétravail. La première semaine, on l’a surtout passée à régler des problèmes de connexion et de lecture, mais on a vite trouvé notre rythme. Personnellement, j’ai trouvé ça plus productif, parce que les révisions ne dépendaient pas de la disponibilité quotidienne des salles ou des réunions de service qui devaient rassembler plusieurs personnes au même endroit. C’était facile d’accéder n’importe quand à des réunions à distance et ça fonctionnait bien.
Quand on a commencé l’étape de livraison du projet, travailler tard n’a pas eu autant d’impact qu’on aurait pu penser sur la vie familiale; on pouvait prendre une pause pour le dîner et vite retourner au travail. C’était moins éprouvant que les livraisons en studio jusque tard dans la nuit, surtout qu’on n’avait pas besoin de faire le trajet aller-retour.

Pouvez-vous nous parler un peu des effets météorologiques?
L’une des caractéristiques importantes de Dark est ses séquences sombres. Les lieux de tournage donnaient déjà une grande impression d’ambiance menaçante. Si vous avez déjà vu des épisodes, vous savez qu’il y a beaucoup de pluie et des nuages gris orageux, que le temps n’est vraiment pas souvent ensoleillé.
Beaucoup de nos plans où la pluie était nécessaire ont été filmés avec des acteurs sur un fond vert. Des prises de vue se sont faites avec des machines à pluie fonctionnant face aux acteurs, et d’autres, sans pluie. On avait une excellente équipe de compositeurs et beaucoup d’éléments de pluie dans notre bibliothèque, alors quand on avait besoin d’intensifier la pluie, on avait tout ce qu’il fallait.
Dans une séquence de nuit dans le deuxième épisode, on voit l’entrée d’une grotte dans une forêt avec de la neige qui tombe. On a utilisé un plan d’une saison précédente comme base pour le cliché de la grotte, en ajoutant des morts suspendus aux arbres entourés de nids. On a aussi assombri l’ambiance et ajouté de la neige qui tombe sur le dessus.
Avec des plans comme ça, en tant que superviseur qui travaille avec un nouveau réalisateur, j’aime offrir des choix. Dans ce cas, on a d’abord créé des versions à la fois avec de la neige légère et de la neige abondante, pour ensuite travailler sur notre version préférée. C’est important d’être là pour aider le réalisateur à prendre les bonnes décisions et lui permettre d’adopter l’approche qu’il a choisie. C’est ce qu’on a fait dans la mesure du possible pour Baran.

Parlez-nous des environnements. Quelles techniques ont été utilisées pour les créer?
À l’opposé de la morosité générale des clichés et des lieux, l’une de nos séquences principales impliquait un grand changement de rythme et de ton, car elle se déroulait dans un site désertique, éclairé et ensoleillé, avec des éléments postapocalyptiques, comme d’anciennes souches d’arbres un peu partout.
Les clichés étaient très bien tournés, ce qui a rendu plus facile que prévu notre travail de création sur cet environnement présentant des dunes d’un autre monde.  On a reconstruit le désert en tant que cadre d’applications en 360 degrés, ce qui nous a permis de diriger la caméra dans n’importe quelle direction. On voulait donner l’impression d’un environnement de déjà-vu, à la limite familier. On a même fait correspondre le positionnement des arbres des plans précédents de la série à celui établi bien avant.
Le Tannhaus était un autre environnement sur lequel on a travaillé. Il s’agit d’un emplacement réel dans une vraie cour d’usine, même si les portes ont été tournées dans un autre lieu à la campagne. On voulait faire croire que l’usine était située à la campagne, alors on a utilisé la photogrammétrie et les balayages Lidar à l’extérieur de l’usine et pris beaucoup de photos pour donner l’illusion de texture.
On a réalisé des plans du Tannhaus de jour, de nuit et sous la pluie. Chacun était un peu différent, mais grâce à la manière dont on a construit notre infrastructure logicielle, on pouvait les allumer et les adapter selon nos besoins. En plus de la pluie, on a aussi ajouté des flaques d’eau, de la brume et du brouillard pour ajouter à l’ambiance générale.

Le poste de police de Winden est un environnement qu’on a vu à plusieurs reprises au cours des deux premières saisons, mais on ne l’avait jamais vu dans un tel état de destruction.
Au moment de la photographie principale, on a habillé la moitié inférieure du décor pour le rendre sale et miteux. On a remplacé la partie supérieure du plan et du bâtiment en utilisant diverses méthodes, entre autres une combinaison de peinture numérique sur cache (matte painting) et de modélisation 3D. On a aussi ajouté des arbres qui se perdent au loin, des arbres brûlés et abîmés qui ont été créés à l’aide de photographies représentant la Première Guerre mondiale. Le plan a pu être terminé de cette façon, ce qui a donné le résultat de destruction postapocalyptique recherché.

Comment la séquence représentant l’espace entre deux mondes a-t-elle été créée?
L’espace entre deux mondes est un royaume éthéré qui ne s’était jamais vu dans la série auparavant et on a dû lui donner une apparence. Sur le plan visuel, c’était l’un des aspects les plus difficiles sur lequel on a dû travailler.
L’idée première était que nos personnages se trouvaient dans un champ infini de particules, mais il est vite devenu évident que ça ne fonctionnerait pas, car on perdait tout effet de profondeur et d’échelle. On devait ramener une sorte de tangibilité.
Dans d’autres séquences de la série, les personnages grimpent à travers des tunnels à l’arrière des grottes, et l’apparence choisie reflète ça. On a constitué les parois du tunnel avec des particules semblables à celles qu’on a vu flotter à divers endroits tout au long de la série. Ce sont des particules magiques suspendues dans l’air et associées au temps.

Initialement, les particules ont été développées avec Houdini, un ensemble de bases de rendus ayant été transmis aux compositeurs pour projeter sur des surfaces. À cause du nombre élevé de plans semblables nécessaires à la séquence, ce processus était plus pratique que de refaire le rendu des systèmes de particules pour chaque plan.

Parlez-nous du plan dans lequel l’orbe détruit le couple assis près de la rivière.
L’orbe sphérique est un événement qui provoque l’apocalypse – il faut avoir vu la série pour comprendre sa signification, mais il a été vu sur de nombreux plans avant ça dans les autres saisons, sous un angle différent.

Rise FX nous a fourni son cadriciel de dôme et on l’a ajouté dans un plan avec un environnement complètement recréé, avec seulement les acteurs devant la caméra. Parce qu’il y avait une séquence autour de ce plan où on voit les arbres à travers l’eau, on a dû recréer un environnement qui représente le plus fidèlement possible ces plans. En fait, on a reconstruit le cliché pour pouvoir le détruire après. Il se passe beaucoup de choses dans ce court plan : on a construit les arbres, l’eau et l’immense vague lancée par l’orbe, ainsi que les effets de lumière, les débris et la destruction générale. Il est construit à partir d’un ensemble d’éléments composites et de cadres majeurs d’applications 3D.

Comment les plans des personnes qui disparaissent dans le temps ont-ils été créés?
On a créé plusieurs plans de gens qui disparaissent. On a mis au point un système qui permettait aux compositeurs de faire les effets visuels; ça a très bien fonctionné et c’était une solution économique. Avec un peu de rotoscopie, on pouvait appliquer un système de particules 3D assisté par ordinateur en obtenant des résultats très rapides. En faisant ça, on n’avait plus besoin de procéder à l’étape d’entrée des effets visuels pour chaque plan.

Quelles sont vos impressions sur le fait d’avoir supervisé les effets visuels de Cinesite pour Dark?
Avant tout, j’ai été honoré de travailler sur une série que j’adore; on n’a pas souvent l’occasion de faire ça. Je suis triste que ce soit déjà la dernière saison, car on n’aura plus la chance de travailler à nouveau sur cette série.
Les clients étaient merveilleux, c’était facile de travailler avec eux. Mon expérience était vraiment positive, malgré le confinement et les défis particuliers que la COVID a entraînés et auxquels on a dû faire face.

Dark : Série 3

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