MILA

Étude de cas, deuxième partie

Lorsque le studio Cinesite a d’abord été approché par la réalisatrice Cinzia Angelini pour l’aider à mener à terme son court métrage d’animation Mila, le film était déjà bien parti, grâce au travail de plus de 350 bénévoles dans plus de 35 pays effectué surtout dans la dernière décennie. Tout ce dont il avait besoin était la touche finale qui lui permettrait de passer la ligne d’arrivée.

Dans la deuxième et dernière partie de notre étude de cas sur le travail de Cinesite sur Mila, quelques membres clés de l’équipe de Cinesite Vancouver discutent des talents artistiques derrière le film.

Diriger avec coeur

C’était en juin 2019 que Cinesite a officiellement envisagé de participer à la production de Mila pour la mener à bonne fin. La division du studio de Vancouver venait juste de finir la production de La Famille Addams et cherchait à se lancer dans quelque chose d’un peu différent.

L’équipe de Cinesite a été immédiatement séduite par l’histoire de Mila. « C’est l’émotion qui a donné le ton », se souvient Tara Kemes, directrice générale de Cinesite Vancouver. « L’histoire a beaucoup de cœur et ça a résonné en nous. On savait qu’une fois la décision prise d’aller de l’avant on aurait la créativité, la technologie et la ténacité nécessaires pour résoudre tous les problèmes qui se présenteraient pour arriver à livrer le projet. »

Étendue du travail

« Mila se compose de six séquences et Cinesite a travaillé sur cinq d’entre elles », commente Nate Barnard, superviseur en effets visuels de Cinesite pour le film. « Une séquence, la cinquième, qui illustrait un rêve, n’était pas très complexe et l’effort collectif a été mis à profit pour Mila. Même s’il y a eu un choix de plans partiellement éclairés à partir d’autres séquences, pour garder un style uniforme, Cinesite a rendu chaque image des cinq autres séquences. Cela a représenté 137 plans et près de 12 minutes de séquences sur la plaque de Cinesite. »

Le film a représenté de nombreux défis techniques pour l’équipe. Le projet a été entrepris au milieu d’une mise à niveau du pipeline. Le studio a ingéré de nombreuses infrastructures logicielles partiellement terminées et a commencé à travailler sur d’autres auxquelles on n’avait pas encore songé. Elles comprenaient 11 personnages, certains ayant des géométries variées et différents aspects, 32 décors, 14 véhicules et 266 accessoires. « Pour maintenir l’efficacité, ajoute M. Barnard, on a dû ingérer toutes les infrastructures logicielles et tous les plans et les convertir en une entité cohérente et supportable pour le pipeline ».

Surfaçage et finition

« Les textures et les nuanceurs pour la plupart de ces cadriciels ont été créés par des bénévoles du monde entier, mais ils devaient tous être convertis pour notre pipeline unique et notre contrôle de la qualité pour veiller à ce qu’ils soient à leur meilleur une fois livrés au service Éclairage et composition », affirme Grace Verhagen, superviseure, Surfaçage et finition. « Le début du film a un aspect visuel différent du reste, et les textures y ont joué un grand rôle. La première séquence est plus lumineuse, plus épurée, plus colorée, mais après les bombardements, les textures deviennent moins saturées et couvertes de saleté et de cendres. Quand on travaillait sur les infrastructures logicielles, on gardait en tête dans quelle séquence ils devaient servir et on s’assurait que ça corresponde à l’ambiance de l’histoire à ce moment précis. »

Alors que les artistes avaient reçu des modèles, des UV, des textures et des nuanceurs dans la plupart des cas, ils les ont parfois améliorés pour ajouter des détails supplémentaires, les rendre plus conviviaux pour la production et s’assurer qu’ils étaient cohérents avec tous les autres cadres d’application. « Par exemple, on rendait parfois les tissus un peu plus doux en ajoutant de la brillance à leurs ombrages, ajoutait une texture de stuc supplémentaire aux murs de la maison de Sofia pour qu’on s’assure d’avoir assez de détails pour tolérer un angle de caméra rapproché, ou ajouter du déplacement aux planches brisées du carrousel détruit pour maximiser l’effet visuel », poursuit Grace.

Effets des personnages

« CFX contribue à donner vie et réalisme à l’histoire, en faisant réagir et bouger des choses comme des cheveux et des vêtements de manière à ce qu’elles soient les plus réelles possible. Si un manteau se balance de la bonne façon, c’est un détail de plus qui nous fait croire aux actions d’un personnage », explique Lauren Sanson, chef du service CFX du projet.

L’un des premiers éléments sur lesquels les artistes ont travaillé a été de recréer les boucles de Mila et de Sofia dans leurs coiffures soignées. « C’étaient deux chevelures vraiment amusantes sur lesquelles travailler, surtout avec l’aspect stylisé de la queue de cheval de Mila », dit Lauren. Les deux personnages portaient aussi des manteaux assez grands dont le ballottement s’avérait parfois difficile à rendre. Pour Mila, les artistes ont travaillé fort pour conserver l’aspect ample et légèrement trop grand de son manteau, parce que c’était important pour l’histoire. Ils ont aussi travaillé sur l’écharpe, les cerfs-volants, les rideaux et divers meubles de Sofia.

L’écharpe de Sofia, en particulier, a été mémorable pour les artistes. Noah Peterson, superviseure du service CFX explique : « Une interaction tendre se construit entre Mila et Sofia et un foulard en tissu est offert à Mila pour se réchauffer. C’est un moment spécial de l’histoire. Des éléments CFX difficiles comme ceux-ci aident vraiment à donner vie à un film et sont tellement gratifiants à résoudre. »

Cinématographie

« Au moment de recevoir le projet Mila, presque tout le film était déjà en phase de réalisation brute et d’animation », décrit Oscar Lo, directeur de la photographie. « Pepe Valencia, codirecteur de la photographie, et son équipe avaient déjà établi une base très solide au film. Les maquettes nous ont donné du fil à retordre du point de vue technique pour intégrer les plans dans notre pipeline et dans l’animation. Par contre, la majeure partie de notre temps était consacrée à la cinématographie. On voulait s’assurer que l’intention de chaque plan était gardée et que chaque plan était magnifiquement composé, car les compositions changent souvent après l’animation. On a aussi examiné le film dans son ensemble pour s’assurer que la vue était cohérente pour le film entier. Un autre aspect important pour l’apparence du film sur lequel Cinzia et moi avons travaillé était de trouver un style de caméra ‘‘portatif’’ qui donne l’énergie appropriée aux séquences d’action. Cela, conjointement avec les secousses de la caméra qu’on a ajoutées pour les explosions, a vraiment rassemblé les plans. On a aussi révisé et réorganisé les plans pour améliorer l’enchaînement du film. »

Animation

Le style d’animation de Mila penche davantage vers le réalisme afin de gagner une plus grande empathie du public pour les personnages.

« L’animation a été réalisée par des animateurs bénévoles du monde entier », déclare Eric Cheung, animateur principal chez Cinesite. « On a pris leurs scènes d’animation à différentes étapes et les a découpées pour les insérer dans notre pipeline. Une petite équipe d’animateurs a examiné ces plans et corrigé les problèmes. Certains plans déjà approuvés ont passé notre contrôle qualité, certains autres stagnaient à certaines étapes et on a dû les mener à terme, et quelques autres étaient de nouvelles séquences qu’on a animées d’un bout à l’autre. »

Préserver le plus d’animation possible effectuée grâce aux efforts considérables des bénévoles était de la plus haute importance pour l’équipe d’animation de Cinesite. Ils ont assuré la cohérence de tous les plans, quelle que soit l’étape où ils se trouvaient. Il était tout aussi important de capturer les mouvements réalistes dans l’animation par image clé.

« Les émotions passent non seulement par les expressions faciales, mais aussi par les expressions et les mouvements du corps entier », ajoute Eric. « Le tournage de vidéos de référence était donc nécessaire pour y arriver, surtout parce que Mila est un film muet. Chaque mouvement subtil des paupières ou des lèvres peut donner un effet supplémentaire sur la crédibilité. »

Effets sur l’environnement

De nombreuses couches de particules de feu, de poussière, de fumée et d’explosions ont été créées pour aider à obtenir l’apparence d’une ville assiégée », décrit Vijay Manral, artiste principal en effets visuels à Cinesite Vancouver. « Les colonnes de fumée, les violents incendies et les bâtiments qui s’effondrent ont contribué à dépeindre les horreurs de la guerre pour les civils. »

Tous ces éléments ont joué un rôle important dans la création de la sensation de chaos et d’agitation dans le film. Une attention particulière a été portée au placement des effets visuels dans la façon dont ils cadraient les personnages et contribuaient à la composition des plans. Les explosions ont été placées stratégiquement pour accroître le sentiment de danger que les protagonistes éprouvaient. Un épais brouillard de fumée surplombant la ville a donné une sensation d’oppression, qui s’est résorbée quand les personnages se sont échappés de justesse vers un lieu sûr. Des braises chaudes à la dérive laissaient présager d’autres incendies hors de l’écran.

Vijay poursuit : « En revanche, l’interaction du personnage avec la fontaine d’eau commune après son évasion contribue à intégrer à l’histoire un moment plus intime, innocent et paisible ».

En tant que petite équipe en effets visuels avec un budget-temps limité, les artistes ont consacré une bonne partie de leur temps à la création d’une bibliothèque d’éléments pour augmenter l’efficacité, ce qui leur a permis de terminer de grandes sections du film en un minimum de temps. Avec ces éléments, ils ont pu schématiser les principales scènes d’action et placer les effets visuels à l’avance, procédant à des ajustements lorsqu’une scène exigeait une meilleure composition et un meilleur cadrage. « Ça nous a laissé plus de temps pour traiter les éléments d’effets spéciaux plus artisanaux pour les scènes plus complexes, comme le bombardement du pont et des bâtiments. »

Éclairage et composition

« Dès qu’on a hérité de Mila d’un groupe d’artistes bénévoles passionnés, on a voulu comprendre quels concepts d’éclairage avaient déjà été développés. Plus précisément, on voulait s’assurer que la vision de Cinzia sur la façon dont l’histoire est rendue au moyen de l’éclairage était alignée avec notre façon d’évaluer l’éclairage de chaque séquence pour mieux transmettre les effets des dommages collatéraux, du désespoir et de l’espoir de l’après-guerre », déclare Kenny Chang, chef, Éclairage et composition chez Cinesite.

Allan Toellner, superviseur, Éclairage et composition, renchérit : « On a géré l’éclairage et l’intégration de toutes les infrastructures logicielles des services en amont. Naturellement, plusieurs des éléments les plus dramatiques devaient être mis en évidence lors des bombardements de la ville : explosions, colonnes de fumée, incendies, braises, et plus. On a aussi collaboré étroitement avec l’artiste de peinture sur cache qui était à l’extérieur pour s’assurer que le ciel était adapté à l’éclairage qu’on avait créé pour les éléments 3D. »

Optant pour une approche plus naturaliste de l’éclairage, les artistes ont utilisé une configuration d’éclairage assez simple et ont incorporé des palettes de couleurs spéciales dans les lumières pour faire ressortir l’ambiance de l’histoire.

Les artistes ont essayé d’utiliser la couleur dans l’éclairage pour optimiser le symbolisme qui se retrouve dans l’histoire. « Par exemple, poursuit Kenny, des couleurs chaudes se trouvent toujours sur les personnages et autour d’eux. Ça incite naturellement le spectateur à regarder ces personnages et à se lier à eux sur le plan émotionnel. Des teintes légèrement désaturées et plus froides trouvées dans l’environnement et dans les ombres font l’effet contraire : elles se retirent naturellement en arrière-plan et détachent le regard du spectateur de ce monde. Même si nos personnages se promènent dans les rues et les places de Trente, l’environnement lumineux créé ressemble beaucoup à un cauchemar auquel ils tentent d’échapper. »

Puis, à mesure que le rythme du film change, la luminosité change à nouveau. Pendant la séquence où les personnages s’abritent dans la maison de Sofia, un doux clair de lune de couleur froide est utilisé. Mila, en même temps que le spectateur, essaie de distinguer les formes dans ce décor étranger. Tandis que de petites sources de chandelles aux couleurs chaudes apparaissent lentement, Mila ainsi que le spectateur sont rassurés que la maison de Sofia soit en effet sécuritaire, et le ton passe de l’ambivalence au sujet de Sofia à la création d’un lien avec elle. Cet éclairage chaleureux aide également le public à passer à la séquence du rêve agréable de Mila avec sa mère.

« Finalement, l’aube d’un nouveau jour est transmise par la chaleur du soleil qui traverse la fenêtre et inonde les pourtours de l’épave de la ville. Le thème d’un nouveau départ apporte un sentiment de soulagement, un peu de mélancolie et, ultimement, de l’espoir », conclut Kenny.

Point saillant d’une carrière

Il est certain que travailler sur Mila a été un moment fort pour une grande partie de l’équipe de Cinesite. Lauren affirme : « Pouvoir travailler sur un projet aussi émotionnel et collaboratif était très spécial. Savoir que des artistes du monde entier y travaillaient depuis des années avant nous nous donne vraiment le goût de reconnaître les mérites de leur travail ».

« Travailler avec Cinzia sur ce film a été une expérience merveilleuse pour toute l’équipe, ajoute Nate. Je me souviendrai toujours de cette expérience comme d’un point névralgique de ma carrière. Cinzia a été la réalisatrice la plus reconnaissante et la plus collaborative avec laquelle j’ai travaillé. Bien sûr, ce sentiment peut être dû au fait que nous avons mené à terme son rêve de plus d’une décennie, mais ses remarques portaient une vision et une passion incroyables qui nous ont poussés à faire de notre mieux pour les satisfaire. Il y a eu plusieurs moments avec Cinzia où il était difficile de ne pas verser une larme alors que les choses se mettaient en place. »